L’intelligence des événements angoissants suppose la vigilance et le discernement. Jésus nous en donne un bon exemple.
L’intelligence des événements angoissants suppose la vigilance et le discernement
… dans la vie de Danièle
Dimanche dernier, une amie de ma sœur Lydie est venue déjeuner au presbytère. Cette amie, qu’on appellera Danièle, est atteinte d’un cancer. Après des traitements très durs, le médecin ne lui a laissé aucun espoir : « Il ne vous reste plus qu’à voir le “psy“ ou le prêtre » lui dit-il sans ambages. Danièle a connu ma sœur en Amérique latine, à Montevideo, où leurs deux époux travaillaient dans des entreprises internationales. Cinquante ans après, elles se retrouvent, veuves, toutes les deux. Danièle m’envoie des SMS. Le 12 janvier : « Nouveau protocole « hard » (difficile). Quatre ou cinq métastases de plus au foie qu’on attaque le 25 janvier. C’est très violent. Le but est de bombarder les lésions qui pourraient manger le foie. » Danièle a déjà subi ce traitement sous anesthésie deux mois auparavant. Elle ajoute : « Mais mon Père, je suis portée par vos prières et j’accepte ce “divertissement“. » Ce divertissement étant cette nouvelle embolisation. Le 14 janvier, elle m’écrit : « La Passion du Christ, ça existe, et il faut peut-être que j’accepte encore cette étape violente et de grandes souffrances. » Le 17 janvier : « Je m’accroche aux branches : “Les marqueurs ont pris 100 points en 10 jours. […] Je distrais le mal et supplie tous les jours les anges du Ciel d’intervenir. […] Ça ressemble à un chemin de croix. »
Danièle est une femme qui prend grand soin de son paraître. Elle marche sur des talons si hauts qu’elle en vacille, met un chapeau noir à la manière de Geneviève de Fontenay. Ignorant à peu près tout de l’Ancien Testament et même de l’Évangile, Danièle va tout de même de temps en temps à la Messe. Elle me dit avec une franchise désarmante : « Ne pas communier, ne me manque pas. Ce n’est pas le cas de votre sœur. » Pourtant, dans sa détresse, elle a cherché à voir un prêtre qui lui donne un rendez-vous auquel il ne vient pas. Dans sa paroisse, les sermons sont trop « intellectuels » et l’ennuient. Elle aime pourtant les histoires bibliques que je lui raconte. Mais Michèle est ce qu’elle est : Dans sa panique, à l’audition des résultats, elle se réfugie dans le sommeil. Prier, elle ne le peut plus. L’angoisse est trop grande. Alors, elle écoute sa respiration et s’endort. Je suis très intéressé par cette confidence et je lui propose d’inspirer en disant : “Jésus“ et d’expirer en disant : “Sauveur“. Même quand la Bible n’est pas votre livre de chevet, cette prière à quatre syllabes peut peut-être passer. Elle m’envoie un message, en me disant : « Merci de ce moment béni qui m’a émue et secouée. » Elle évoque l’onction des malades qui lui faisait si peur et que je lui ai donnée la veille. Elle ajoute : « Très mauvaise nuit, j’ai été agitée et insomniaque. Je sentais qu’il se passait des choses que j’ai acceptées. »
L’intelligence des événements angoissants suppose la vigilance et le discernement
… dans la vie de Jésus
Jésus Lui-même a été angoissé à l’agonie devant les terribles souffrances auxquelles Il allait être exposé. Quelques jours avant la Pâque, l’angoisse Le saisit déjà quand des Grecs demandent à Le voir. Le moment d’être le « Sauveur du monde » (Jn. 4, 42, 1 Jn. 4, 14) est venu. Spontanément, après avoir donné une leçon à Ses disciples sur la nécessité du sacrifice, Il fait état de Son être intérieur : « Maintenant Mon âme est troublée. » Cette angoisse, Il ne la cache ni à Lui-même, ni à Ses disciples.
Il y a, évidemment, un grand contraste entre la réaction de Danièle et de Jésus, même si elle a pour fond une même angoisse, celle de la mort. Il a enseigné avec calme que ce passage de la mort est nécessaire pour donner beaucoup de fruit : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. » (Jn. 12, 24) Mais l’angoisse ne prévient pas ! Un instant Jésus en est submergé. « Maintenant, Mon âme est bouleversée. » (Jn. 12, 27) La question de ce jour est de savoir comment faire face, comme Jésus, à un trouble profond et légitime.
L’intelligence des événements angoissants suppose la vigilance et le discernement
1. La vigilance de Jésus sur ses pensées…
La maîtrise de Jésus, nous le voyons clairement dans ce passage, se manifeste plusieurs fois par :
- La reconnaissance d’un mouvement de son âme, habituellement si calme : « Maintenant, mon âme est troublée. » (Jn. 12, 8)
- La tradition monastique dite « hésychaste », insiste beaucoup sur cette attention à ce que l’âme éprouve. Le moine est attentif à ses pensées, à ses émotions.
- Ce premier moment est aussi celui de Danièle. Il n’a pas été difficile pour elle, après les propos abrupts de son médecin et les résultats médicaux, de dire son trouble. Elle s’est dite : « Secouée par le choc », « en bouillie ».
- Une vigilance. Le second temps, si important, est un moment d’interrogation. « Que vais-je dire ? » Jésus n’est toujours pas dans une prière explicite. Mais Il est vigilant à l’égard de la pensée qui va surgir de Son cœur troublé.
- C’est ce que les moines hésychastes appellent la « nepsis » (la vigilance). Saint Jean Climaque, dans l’Echelle Sainte, compare cette vigilance à celle du chat à l’égard de la souris. « Le chat surveille la souris et l’hésychaste guette la souris spirituelle. »La souris spirituelle, ce sont les pensées qui traversent l’esprit du moine.
- La reconnaissance d’une pensée tentatrice. Il y a deux pensées possibles :
- La pensée de fuir. Elle est immédiate, impulsive. Jésus, avec lucidité, énonce cette tentation qui Le traverse et l’examine. Que vais-je dire : « Père, sauve-Moi de cette heure ? » Il rejette cette pensée.
- C’est une pensée dite « passionnée » disent les Pères neptiques, qui jaillit ici parce qu’elle exprime l’instinct de conservation. Nul n’a envie, instinctivement, de « perdre sa vie ». (Jn. 12, 25)
- La pensée qui resitue ce moment éprouvant dans la perspective de Son appel. L’Incarnation n’avait que cet objectif : sauver le monde. Aussi, est-ce un cri. Ce n’est pas la pensée de fuite qu’Il choisit, mais la pensée qui guide sa vie, celle de sauver le monde : « Mais non ! C’est pour cela que Je suis parvenu à cette heure-ci ! » (Jn. 12, 27) C’est cette pensée qu’Il vient d’enseigner à Ses disciples : « Qui aime sa vie, la perd ; et qui hait sa vie en ce monde la conservera en vie éternelle. » (Jn. 12, 25)
- Jésus renonce à la pensée « passionnée » qui L’a traversé.
- La pensée de la glorification du Père. Une troisième pensée surgit du fond de son être, une pensée qui lui est habituelle : « Père, glorifie Ton nom ! » (Jn. 12, 28)
L’intelligence des événements angoissants suppose la vigilance et le discernement
2. Les pensées passionnées de Danièle…
La prière de Danièle, comme souvent la nôtre, oscille entre des pensées diamétralement opposées. Ses SMS évoquent ses tiraillements : Un amour de cette vie sur terre, en même temps qu’un attrait vers Dieu. Pourtant sa vie manifeste un fréquent « oubli de Dieu ». Les signes en sont :
- Sa grande soif de continuer à vivre dans ce monde-ci. Sa « soif de vivre », comme elle dit, mais elle pourrait ajouter, « sa soif de vivre ici-bas ».
- Son « attachement au monde et aux choses de ce monde ». (Père Dautais) Il faut aller aux sports d’hiver, aller au Maroc, se « changer les idées ».
- Sa « peur de souffrir et de mourir […] qui sans cesse cherche des compensations ». (Père Dautais) Ainsi, elle cherche des « idées » pour sa guérison : « Hier, un nouveau protocole avec une de mes idées. »
- Les multiples « suggestions de l’esprit » (S. Jean Climaque) qu’elle exprime aussitôt qu’elles viennent. « Je préfèrerais rester sur la table d’opération plutôt que de galérer je ne sais combien de temps. »
- Son incapacité à chasser par une parole simple, ces suggestions de l’esprit « au moment-même où elles se présentent ». (S. Jean Climaque). Après avoir reçu l’onction des malades, la nuit suivante, Danièle ne dort pas, tiraillée par ses idées. Elle fait tout de même son acceptation, non sans en être épuisée.
L’intelligence des événements angoissants suppose la vigilance et le discernement:
la vigilance….
Jésus, quant à Lui, est extraordinairement vigilant à l’égard de Ses pensées et de celle des autres !
- Il montre cette maîtrise quand le diable Lui suggère des pensées au désert, pensées qu’Il repousse une à une. « L’homme ne se nourrit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » (Mt. 4, 4) Etc.
- Il montre cette maîtrise quand des Pharisiens et des Hérodiens lui demandent s’il faut payer l’impôt qu’exige César. A sa demande, une pièce de monnaie Lui est présentée avec l’effigie de César, et Il répond : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » (Mc. 12, 17)
L’intelligence des événements angoissants suppose la vigilance et le discernement
La solution, face à nos pensées passionnées est donc de les discerner avec vigilance : Débusquer celles qui viennent de l’ennemi, choisir celles qui viennent de Dieu.
… a pour source la piété
La raison pour laquelle ce discernement est immédiat chez Jésus est sa grande piété. La 2ème lecture nous dit que Jésus a été exaucé dans sa prière en raison de sa « piété » (εὐλαβείας) ». (He. 5, 7) La traduction liturgique, bien pauvre, dit que c’est en raison de son « grand respect ». La piété, c’est une « relation personnelle avec Dieu, faite d’affection et de respect ». (Catéchisme de l’Eglise Catholique) Or Jésus manifeste cette relation profonde à son Père quand Il crie : « Père, glorifie Ton Nom ! » Pour Jésus, Son Père seul compte.
… a pour moyen la prière « monologique »
Pour arriver rapidement à cette relation personnelle et forte à Dieu, il suffit d’une « parole simple », comme celle du publicain « Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis. » (Lc. 18, 13) ou quatre syllabes : « Jésus, Sauveur », répétées sans se lasser.
Prions : « Père, fais-nous la grâce d’une seule pensée, celle de Ton Nom. Amen. »
Oraison jaculatoire : « Seigneur Jésus, Fils de Dieu, prends pitié de moi, pécheur. »
Question : Comment dominez-vous vos pensées ?
Suggestion : S’exercer à la prière « monologique » pendant le temps de l’oraison : « Jésus» sur l’inspiration et « Sauveur » sur l’expiration.
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