Revêtir le vêtement de l’Agneau : un don et une exigence

S’habiller…

… d’une pauvre soutane

Le père Nikon Vorobiev. Source image: Orthodox Chritianity

L’higoumène (supérieur d’un monastère) Nikon Vorobiev est l’un des pères spirituels les plus célèbres de la période communiste en Russie. Né en 1894 dans une famille de paysans, il était le deuxième enfant d’une famille qui en comptait six, tous des garçons. Après l’école primaire qu’il achève brillamment, son père réussit à le faire entrer au lycée. Il reçoit immanquablement le prix d’honneur alors qu’il monte d’une classe à l’autre. Il est doué pour tout : mathématiques, dessin, musique, littérature. Pour vivre, il reçoit quelques sous en allant aider des camarades en difficulté scolaire. La faim, le froid sont ses compagnons permanents durant toute cette période. En hiver, il circule avec toujours le même manteau léger et des souliers sans semelles… Sa foi, à l’exemple de sa famille, est extérieure, routinière parce que les prêtres ne se préoccupent pas de nourrir la foi des fidèles, mais se contentent de donner les sacrements. Il ne sait rien de la vie spirituelle et du combat contre les passions, si bien qu’il abandonne sa foi, comme beaucoup, pendant cette période où le régime enseignait que l’Eglise était une supercherie de curés. Pourquoi vivre alors ? Il comprend que la science ne s’occupe pas de la question du sens. Il se précipite donc avec ardeur dans l’étude de la philosophie, qui le déçoit, puis dans la psycho-neurologie.

Cette vie sans sens est si lourde à porter qu’il pense au suicide. Or, à l’été 1915, il a 21 ans, une pensée le traverse : Et Dieu ? Il s’écrie alors de tout son être : « Seigneur, si Tu existes, révèle-Toi à moi ! » Et le Seigneur se révèle à lui. Ne sachant à qui s’adresser, il étudie tout seul l’Evangile et les Pères de l’Eglise. « Ils m’ont consolé, raisonné, nourri », dit-il d’eux. Sa vie est très ascétique : un morceau de pain, une assiette de soupe aux choux. L’orgueil pointe : « O, comme je vis ascétiquement, je comprends déjà la prière du cœur ! » pense-t-il. Les épreuves le ramèneront à plus de vérité sur lui-même : A peine trois ans après avoir reçu l’habit monastique et l’ordination, il est arrêté et envoyé en camp de concentration pendant cinq ans. En rentrant du camp, il devient l’homme à tout faire d’un chirurgien connu, Serge Lvovitch. La femme du médecin, Alexandra, et sa sœur, Elena, sont des athées convaincues. Alexandra tombe malade du cancer. Le Père Nikon devient son garde-malade. Il la convertit par sa prière et sa douceur. En 1944, les églises sont à nouveau ouvertes. Son évêque ne l’aime pas et le nomme d’une paroisse à l’autre. Il finit à Gjatsk où il vivra toujours dans la pauvreté, avec des vêtements rapiécés et le strict nécessaire. Il en est content, se méfiant de tout luxe, parce que cela développe en l’homme, dit-il, la vaine gloire, le vide, la sottise et la présomption. En effet, aimait-il à répéter : « De nous-mêmes, il n’y a rien. […] L’homme, dans chaque prière – quelle que soit son inspiration, quel que soit le ravissement dans la prière que le Seigneur lui donne – doit, fondamentalement prier comme le publicain : “O Dieu, sois miséricordieux envers moi pécheur !“ Tout, voire même cette inspiration, tout cela est un don de Dieu. Il n’y a rien de bon en nous. Tout vient du Seigneur. » (Higoumène Nikon Vorobiev, Lettres spirituelles, p. 50, éd. L’âge d’homme, 2015) Il meurt en 1963. Quelques jours avant sa mort, il rédige son testament qu’il conclut par ces simples mots : « Souvenez-vous de moi, pécheur. »

… pour un mariage

Il m’est arrivé, comme prêtre, de célébrer souvent des mariages. Les gens peuvent être très bien habillés : les messieurs avec de beaux uniformes … et les femmes, quelquefois encore, avec de beaux chapeaux.

…pour le Royaume

Ces habits ne sont évidemment pas les habits de noces qu’exige le Seigneur, dans l’Evangile que nous venons d’entendre. Il n’exige pas non plus la soutane usée du Père Vorobiev. Quel est donc cet habit de noces qu’un des convives a eu l’audace de ne pas revêtir ? « Mon ami, comment es-tu entré ici sans avoir l’habit de noces ? » (Mt 22, 12) C’est la question de cet évangile.

I. Le vêtement a une signification …

… pratique et symbolique

Le vêtement de tous les jours a une fonction toute pratique : il nous défend contre le froid ou l’excès de chaleur, il nous protège dans un travail. Mais bien souvent, le vêtement a aussi une fonction symbolique : Tels sont la robe de l’avocat, l’uniforme du gendarme, les ornements du prêtre.

… existentielle

Le vêtement exprime aussi l’identité d’une personne. De loin, je reconnais une personne à son vêtement.

…spirituelle

Aussi, pour tourner en dérision l’identité d’une personne, il n’est rien de tel que de lui donner un autre vêtement que le sien. Ainsi, pour tourner le Christ en dérision, les soldats le dépouillent de ses vêtements et lui en remettent un autre qui ne correspond pas à Son identité intérieure, simple et humble : « L’ayant dévêtu, ils Lui mirent une chlamyde écarlate… et s’agenouillant, ils se moquèrent de Lui. » (Mt 27, 28)

II. le vêtement…

… double de l’homme

En effet, le vêtement est tellement l’expression de l’âme que Saint Paul identifie le vêtement aux vertus et aux vices. Il décrit le vêtement dont il faut se dévêtir : « Fornication, impureté, passions, mauvais désirs, … colère, orgueil, méchanceté, médisance, propos déshonnêtes … mensonge… » (Col. 3, 5-9)

… et le vêtement dont il faut se revêtir : « Revêtez-vous donc… de sentiments de miséricorde, de bonté, d’humilité, de mansuétude, de patience, vous supportant les uns les autres et vous pardonnant mutuellement… par dessus tout, revêtez-vous de la charité. » (Col. 3, 14)

… un vêtement divin

Dans l’épître aux Ephésiens, Saint Paul évoque même un vêtement divin : « La vérité… la justice… le zèle à répandre l’évangile… la foi… la Parole de Dieu… la prière. » (Eph. 6, 14-17) Ce vêtement est « divin » parce que ce n’est pas un vêtement que l’homme aurait pu revêtir par lui-même. Il lui a été donné par Jésus-Christ.

III. Le vêtement des noces…

…exigé par le Roi

Cela est particulièrement clair dans l’évangile d’aujourd’hui. Le Roi des rois, (Jésus, bien sûr), exige pour Ses noces un vêtement tout particulier : du lin, parfaitement blanc. « On a donné – à son Epouse, l’Eglise – de se vêtir de lin d’une blancheur éclatante. » (Ap. 19, 6-8) Cette blancheur éclatante : « C’est… les bonnes actions des saints. » (ibidem.)

… un don

Mais attention, n’allons pas croire que ces bonnes actions des saints soient les leurs. Etre revêtue de ce vêtement éclatant est un don de Dieu : « [Il] a donné [à l’Eglise] de se vêtir de lin d’une blancheur éclatante. » Ce n’est pas du fait de l’Eglise, mais le fait de Dieu. C’est sur quoi insiste l’higoumène Nikon.

… à laver dans le sang

Le livre de l’Apocalypse dit explicitement, en effet, que l’Eglise n’a pu se vêtir de « blanc » qu’en lavant son vêtement dans le sang de l’Agneau : « L’un des Vieillards prit alors la parole et me dit : “Ces gens vêtus de robes blanches, qui sont-ils et d’où viennent-ils ?” Je lui dis : “Mon seigneur, tu le sais. “ Et il me dit : “Ce sont ceux qui viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs robes, et ils les ont blanchies dans le sang de l’Agneau. “ » (Ap. 7,13-14)

Conclusion : Laver son vêtement dans le Sang de l’Agneau …

Si l’invité a été jeté « pieds et poings liés dans les ténèbres », (Mt. 22, 13) c’est parce qu’il a n’a pas voulu du vêtement des noces. Les invités avaient tous un vêtement sale, mais ils ont voulu le laver avec le sang de l’Agneau : « Jésus Christ nous aime et nous a lavés de nos péchés par Son sang. » (Ap. 1, 4-5) Laver son vêtement dans le sang de l’Agneau peut se faire de diverses manières :

  1. Par la confession continuelle de son état de pécheur. Les moines (et laïcs) Orthodoxes répètent continuellement, au cours de leurs journées, la prière du publicain : « Seigneur Jésus Christ, fils de Dieu, prends pitié de moi, pécheur. » Cette répétition continuelle :
    1. Oriente l’esprit vers le Seigneur. « Seigneur Jésus Christ, fils de Dieu… »
    2. Oriente le cœur vers la supplication : « Prends pitié de moi… »
    3. Oriente le moi vers l’humilité : « pécheur… »
    4. Et justifie. Le Seigneur le dit : « Je vous le dis : ce dernier – le publicain – descendit chez lui justifié, l’autre – le Pharisien – non. » (Lc. 18, 14)
  2. Par la gratitude face à la volonté divine. Ne pas se plaindre, dire merci en tout, c’est dire à Jésus : « Tu es en train de me laver, de me purifier, merci. » Le Père Nikon écrivait : « Remerciez pour tout. Il faut se livrer de toute son âme à la volonté de Dieu, car elle nous sauve, elle nous aime et désire, à travers les petites épreuves de la vie terrestre, nous amener à la félicité éternelle, à la gloire des enfants de Dieu. » (Lettres spirituelles, p. 407)
  3. Par une prise de conscience du culte spirituel de l’Eucharistie. Le Père Nikon, si le fidèle n’avait pas communié depuis des années, ne l’admettait pas immédiatement à la Communion. Il lui donnait seulement sa bénédiction et l’engageait à reprendre sa vie chrétienne plusieurs mois avant qu’il ne revienne à la pratique sacramentelle. Le vêtement est « lavé » si le disciple est passé par « la grande épreuve » du sacrifice. Si l’Eucharistie est d’abord le Sacrifice du Christ, il exige que le disciple offre sa personne « en hostie vivante, sainte agréable à Dieu : c’est là le culte spirituel que vous avez à rendre », dit S. Paul aux Romains. (Rm. 12, 2)

Laver Son vêtement – notre âme – dans le Sang de l’Agneau est un Sacrifice reçu, celui du Christ, et un sacrifice donné : le nôtre.

Prions : « Seigneur, merci pour Ton sang. Qu’il nous donne la force de nous offrir, nous aussi ! Amen. »

Question : Comment avez-vous « lavé votre vêtement » cette semaine ?

Suggestion : Pratiquer la prière du publicain.

Oraison jaculatoire : « Seigneur Jésus, Fils de Dieu, prends pitié de moi, pécheur. »

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A propos Geoffroy de Lestrange 75 Articles
Le père de Lestrange, curé dans le monde rural, a fait ses études supérieures aux États-Unis. Il y a découvert le Renouveau charismatique catholique ainsi que les églises évangéliques. Bénédictin, puis profès simple chez les frères de Saint-Jean, il a découvert par ces contacts divers, l'importance de la prière pour une nouvelle Pentecôte dans l'Église, souhaitée par tant de papes.

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