Les larmes et la compassion…
… d’une mère provoque la conversion d’Augustin
« La miséricorde de Dieu a changé ma vie », confie un détenu chinois de la prison de Padoue en Italie. Le 12 janvier 2016, au siège de l’Augustinianum, centre d’étude des Pères de l’Eglise à Rome, devant une salle remplie de journalistes, mais aussi de personnalités italiennes et de diplomates, Zhang Jianqing, incarcéré depuis onze ans, âgé de 30 ans, explique pourquoi, en prison, il a choisi le nom de saint Augustin comme nom de baptême. Ses parents, de tradition bouddhiste, se sont toujours « bien comportés en Chine et en Italie ». Arrivé en Italie avec son père à l’âge de 12 ans, alors que sa mère était déjà là depuis deux ans, il est confié à une école où il s’ennuie. Il fait tout pour s’échapper.
Selon ses propres paroles, il devient « méchant », réclame de l’argent à ses parents afin d’aller «s’amuser». A 16 ans, il part travailler loin de sa famille, passe ses nuits en discothèque, et devient « puissant, violent, superficiel ». Une «erreur» lui vaut, à 19 ans, une condamnation à vingt ans de prison. « Désespéré » il écrit à sa famille « en demandant pardon » pour la « tristesse » qu’il leur cause, encore et encore. Sa mère fait 700 km « pour venir [le] visiter en prison, et pleure ». Il avoue que ce sont « ses larmes » qui l’ont « aidé à percevoir le mal » fait à sa famille : «Mon cœur tremblait, se sentait brisé, et le désir émergeait de ne plus faire souffrir [ma mère]. » En détention, il souffre de ne pas comprendre l’italien.
Mais avant son transfert à Padoue, il rencontre un bénévole, son futur parrain de baptême : « Cet homme a été le premier cadeau du Seigneur envers moi. Son visage, son regard m’ont semblé immédiatement amical, j’ai ressenti réconfort et paix intérieure, alors que je ne comprenais ni ne parlais sa langue. » Le regard « de compassion » de cet homme le touche. Il se sent « soutenu, encouragé ». Après son transfert à Padoue, en 2007, il a l’occasion, grâce à un compatriote chinois, de travailler dans une coopérative. Il se rend compte que les gens de la coopérative « aiment » les prisonniers comme « des personnes, pas comme des numéros ou des fiches ». Il lui vient alors le désir de recevoir le baptême pour être à son tour « heureux ». Il confie que les paroles de l’Evangile lui procurent « une joie jamais éprouvée auparavant, comme si elles étaient écrites pour lui : “J’attendais le dimanche ! Avec des amis prisonniers et la coopérative, je participais à une rencontre hebdomadaire.
Le Vendredi Saint 2014, à la fin du Chemin de croix, tous mes amis sont allés embrasser la croix ; moi aussi j’avais le désir de le faire, mais, pensant à maman, je n’y suis pas arrivé. Il me semblait la trahir une seconde fois. Je suis sorti de la chapelle et je me suis mis à pleurer de ne pas l’avoir fait. J’ai compris que j’étais amoureux de Jésus, que je ne pouvais plus me séparer de Lui. J’ai appelé ma famille pour la faire venir. Maman est venue et je lui ai tout raconté en lui disant que je ne pouvais plus cacher mon amour pour Jésus. Après ces paroles, maman est restée immobile pendant cinq minutes. Elles m’ont semblé les plus longues de ma vie. Puis elle m’a dit : “Si tu penses que c’est quelque chose de juste pour toi, tu dois le faire, sinon je souffrirai encore plus. “ On s’est tous mis à pleurer. J’ai pleuré comme un enfant. J’ai ressenti la présence du Seigneur dans l’amour de maman. Le 17 avril 2015, j’ai reçu le baptême, la confirmation, et la première communion dans la prison, pas dans un autre lieu, mais là où Jésus est venu me rencontrer et où j’ai rencontré Jésus.“ » Pourquoi donc le prénom d’Augustin ? Parce qu’il a reconnu dans sainte Monique pleurant et priant pendant quinze ans pour la conversion de son fils, devenu ensuite le grand saint Augustin, une image de sa propre mère.
… de Jésus conduisent à la résurrection de Lazare
Alors que Marie tombe aux pieds de Jésus et pleure de la mort de son frère, « Jésus, frémit en son esprit et Se troubla », (Jn. 11, 33) dit l’Ecriture.
… du disciple
Si une mère bouddhiste peut conduire son fils au baptême, et les larmes de Jésus à la résurrection de Lazare, qu’en est-il de nos larmes et de notre compassion ? C’est la question que pose l’Evangile de ce jour.
1. Les pleurs dans l’ancienne alliance…
… du roi David
Alors qu’Absalom, fils du roi David s’est constamment opposé à son père jusqu’à vouloir usurper son trône, David, apprenant sa mort, le pleure : « Le roi dit à Cuschi : Le jeune homme Absalom est-il en bonne santé? Cuschi répondit: Qu’ils soient comme ce jeune homme, les ennemis du roi mon seigneur et tous ceux qui s’élèvent contre toi pour te faire du mal ! Alors le roi, saisi d’émotion, monta dans la chambre au-dessus de la porte et pleura. Il disait en marchant : Mon fils Absalom ! Mon fils, mon fils Absalom ! Que ne suis-je mort à ta place ! Absalom, mon fils, mon fils ! » (2 S. 18, 32-33)
… de Joseph
De même, Joseph, à qui ses frères ont fait tant de mal, pleure en les revoyant.
- Il pleure une première fois en cachant ses larmes : « Alors il s’écarta d’eux et pleura. » (Gn. 42, 24).
- Il pleure une deuxième fois, toujours en cachant ses larmes, à la vue de son plus jeune frère : « Et Joseph se hâta de sortir, car ses entrailles s’étaient émues pour son frère et les larmes lui venaient aux yeux. » (Gn. 43, 30)
- Il pleure une troisième fois, devant ses frères et au su de tout le monde, alors qu’il se fait reconnaître d’eux, lui, devenu le premier ministre de Pharaon : « Dieu m’a établi maître sur toute l’Egypte. […] Racontez à mon père toute la gloire que j’ai en Egypte et tout ce que vous avez vu, et hâtez-vous de faire descendre ici mon père. Alors il se jeta au cou de son frère Benjamin et pleura. Benjamin aussi pleura à son cou. Puis il couvrit de baisers tous ses frères et pleura en les embrassant. » (Gn. 45.9.13-15)
… d’Esdras et Néhémie
Le prêtre-scribe Esdras, au temps d’Artaxerxès, roi de Perse, pleure l’infidélité des Juifs, restés à Jérusalem, mélangés à des peuples païens. « Comme Esdras, pleurant et prosterné devant le Temple de Dieu, faisait cette prière et cette confession, une immense assemblée d’Israël, hommes, femmes et enfants, s’était réunie autour de lui, et le peuple pleurait abondamment. » (Esd. 10, 1)
De même, au récit d’Hanani sur la ruine de Jérusalem, Néhémie, échanson d’Artaxerxès, pleure : « A ces mots, je m’assis et pleurai ; je fus plusieurs jours dans le deuil, jeûnant et priant devant le Dieu du ciel. » (Ne. 1, 4)
Dans ces pleurs, se manifeste un amour inconditionnel, violent, entier qui pour un fils, même rebelle, qui pour des frères qui ont haï l’un des leurs, qui pour le peuple d’Israël, même infidèle.
2. Les pleurs dans la Nouvelle Alliance…
Les pleurs dans le Nouveau Testament nous sont plus familiers : Pierre pleurant d’avoir trahi trois fois Jésus, (Mt. 26, 76) les habitants de Bethléem pleurant le massacre de leurs enfants par Hérode, (Mt. 2, 18) les pleurs de la veuve de Naïm, que Jésus apaise en ressuscitant son fils, (Lc. 7, 13), les pleurs de la pécheresse arrosant de ses larmes les pieds de Jésus, (Lc. 7, 38) les pleurs de Jésus sur Jérusalem, (Lc. 19, 41) les pleurs de Marie au tombeau de Jésus. (Jn. 20, 11) Il est clair que les pleurs pour le peuple sont moins fréquents que dans l’Ancienne Alliance.
On connait moins les pleurs de la maison de Philippe, diacre. Agabus annonce que Paul sera livré aux païens, tous se mettent à pleurer. Il répond : « Qu’avez-vous à pleurer et à me briser le cœur ? Je suis prêt, moi, non seulement à me laisser lier, mais encore à mourir à Jérusalem pour le nom de Jésus. » (Ac. 21, 13)
Avec le don du Saint Esprit, les pleurs retrouvent une amplitude universelle : Paul ne veut pas que l’on pleure sur son sort. Il pleurera pour les Eglises : «Veillez donc, vous souvenant que, durant trois années, je n’ai cessé nuit et jour d’exhorter avec larmes chacun de vous.» (Ac. 20, 31)
Conclusion : La puissance des pleurs…
Il y a, à l’évidence, une puissance des pleurs.
- Les pleurs d’Augustin Zhang Jianqing, lui valent la visite d’un homme compatissant qui le conduira au baptême. Les pleurs de sa mère lui vaudront aussi sa conversion.
- Les pleurs de Marie Madeleine à la tombe lui méritent de voir, la première, la résurrection du Seigneur et de l’annoncer aux apôtres.
- Les pleurs de Marie, Mère de Jésus, à la croix, lui valent d’être la mère de l’Eglise, comme l’a déclaré le Concile Vatican II.
- Les pleurs de Jésus à l’agonie, Lui valent d’être sauvé de la mort et d’être principe de salut : « Ayant présenté, avec une violente clameur et des larmes, des implorations et des supplications à Celui qui pouvait Le sauver de la mort, et ayant été exaucé à cause de Sa piété, […] après avoir été rendu parfait, Il est devenu, pour tous ceux qui Lui obéissent, principe de salut éternel. » (He. 5, 7-9)
Ces pleurs qui sont des « larmes de feu »
- Ces larmes de feu s’expriment dans la compassion sans mesure de Jésus pour le brigand qui Lui demande de se souvenir de lui quand Il sera dans son Royaume. Jésus lui répond immédiatement : « Aujourd’hui, tu seras avec Moi dans le paradis. » (Lc. 23, 43)
- «Ces larmes de feu sont celles qui embrasent le cœur du Sauveur quand, au soir du Jeudi Saint, Il voit s’approcher l’Heure bénie de Sa passion qui sauvera le monde. » «
- «[Ces larmes de feu] sont celles que pleure en nous l’Esprit saint pour le salut du monde. (Card. Journet, Les sept paroles du Christ en croix)
Prions : Seigneur, donne-nous de pleurer comme ceux qui Te cherchent et de pleurer pour ceux qui ne Te cherchent pas. Amen.
Questions : Les larmes ont-elles une « puissance » ? Quand en ont-elles, quand en n’ont-elles pas ? Avez-vous fait l’expérience de larmes puissantes ?
Suggestion : Demander la compassion au Seigneur.
Oraison jaculatoire : « Mes larmes sont ma nourriture jour et nuit, Pendant qu’on me dit sans cesse: Où est ton Dieu? » (Ps. 42, 3)
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