Introduction : Le chèque en blanc…
… de Karl Leisner
Cyril et Christine viennent me voir pour leur prochain mariage. Ils ne sont pas pratiquants. La relation passe bien et je leur dis que le mariage, c’est comme le sacerdoce : on donne un blanc-seing au Seigneur. Donner un blanc-seing, dans le langage courant, c’est « donner un chèque en blanc ». Cet esprit du « chèque en blanc » donné à Dieu, a été développé par le mouvement de Schönstatt.
Il a été vécu dans la chair par un prêtre allemand, le bienheureux Karl Leisner, béatifié le 23 juin 1996 par saint Jean-Paul II. Envoyé à Dachau sur dénonciation d’un compatriote parce qu’il avait dit regretter que Hitler ne soit pas mort à la suite de l’attentat du 9 novembre 1939, il écrit à son ami Hein Tenhumberg, le 15 décembre 1939, depuis sa prison de Fribourg, de ne pas s’effrayer : « Prends courage, comme moi aussi j’ai pris courage. Dans un italien très approximatif, il précise pourquoi : « Nel spiritu del schecco bianco ! » (« Dans l’esprit du chèque en blanc ! »)
Sa sœur Élisabeth Haas, à 88 ans (en 2011), a fait mémoire des retrouvailles émouvantes avec ce frère chéri, quelques semaines avant sa mort. « Dans le chaos de l’après-guerre, nous ne savions plus rien de Karl. Était-il toujours en vie ? Avait-il quitté Dachau ? Nous avons eu de ses nouvelles grâce au Père Otto Pies, son ami et « ange gardien » à Dachau. Il avait confié une mission à des prêtres hollandais rentrant chez eux, censés passer par Clèves où nous vivions : « Dites à la famille Leisner que Karl est toujours vivant et qu’il se trouve au Sanatorium de Planegg, en Bavière. » Aussitôt, mes parents ont cherché comment se rendre auprès de lui. Se déplacer relevait alors du défi. Les troupes d’occupation anglaises, dans notre zone, délivraient les laisser-passer au compte-gouttes. Il fallait aussi trouver un véhicule et de l’essence. Après plusieurs jours de voyage, mes parents sont arrivés au sanatorium le 29 juin 1945, en la fête des saints Pierre et Paul. Ils n’avaient pas revu Karl depuis six ans. Son état de santé était alarmant. Maman est restée avec lui jusqu’à la fin. Rentré chez nous, mon père nous a dit, à moi et mes sœurs : « Karl veut vous voir. » Après un voyage compliqué, nous sommes arrivés à Planegg, le 9 août au soir. L’infirmière nous a dit : « Votre frère n’est pas en état de vous recevoir. » Nous avons donc dû attendre le lendemain pour le voir.
Je suis entrée la première dans la chambre. […] Il était couché, totalement épuisé, […] mais joyeux que nous soyons à nouveau réunis. Il a peu parlé du calvaire vécu à Dachau. Il voulait des nouvelles de chez nous, rien que de bonnes nouvelles. Il s’est mis à faire des blagues, à parler dans le dialecte de Clèves, que nous n’utilisions pas à la maison. Ensemble, nous avons ri. Les infirmières étaient étonnées de le voir ainsi. […] Il avait dit à ma mère : « Je dois mourir et tu ne dois pas être triste. » Il gardait la joie. Ce frère, pour qui « le prêtre, autre Christ, doit offrir et être offert », (sacerdotem oportet offerre et offerri), nous a confié : « Je dois souffrir comme Jésus sur la croix ». Il a réaffirmé aussi sa confiance en Marie, Reine de Schönstatt, mouvement auquel il était profondément attaché. À propos de cette « Mère trois fois admirable » (Mta), à qui il était pleinement consacré et à qui il refaisait constamment son « chèque en blanc », dans l’esprit du mouvement, il nous a dit : « J’aurais perdu la tête si elle ne m’avait pas soutenu. Elle pourvoit toujours à tout. » Son lien avec la Mta s’est manifesté au-delà de la mort : décédé le 12 août, il a pu être ramené providentiellement chez nous pour le 15 août. »
… de Marie
Vendredi 15 septembre prochain, nous fêterons Notre-Dame des Douleurs qui la première, à la suite de Son Fils, donne à Dieu un blanc-seing sans esprit de retour, depuis le jour de son oui à l’Archange Gabriel, jusqu’à son oui à l’offrande de son Fils, se tenant debout au pied de la croix : « Or, près de la croix de Jésus se [tenait] Sa mère… » (Jn. 19, 25) S. François de Sales commente ce verset en disant qu’ « elle demeura donc, cette très glorieuse Mère, ferme, constante et parfaitement soumise au bon plaisir de Dieu, qui avait décrété que Notre-Seigneur mourrait pour le salut et la rédemption des hommes ». (Sermon pour le Vendredi Saint, 17 avril 1620)
… du Chrétien
Aussi, les questions que posent ces martyrs – Marie est reine des martyrs – est de savoir quelle joie il y a à donner un chèque en blanc à Dieu, et, si joie il y a, comment accéder à ce niveau de la vie chrétienne ?
1. Le blanc-seing de Jésus à son Père…
… est celui de l’Incarnation
Le blanc-seing parfait est celui de Jésus à Son Père. Son Père « a tant aimé le monde qu’Il a donné Son Fils unique ». (Jn. 3, 14) Jésus fait sien cet amour et laisse Son Père accomplir Son plan en Lui. Ce blanc-seing :
- Commence à Noël : Jésus descend du ciel, prend chair de la Vierge Marie pour habiter parmi nous.
- S’achève à la croix : « Nul n’est monté au ciel, sinon Celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme », (Jn. 3, 13) dit Jésus à Nicodème.
… est abyssal
Cette « descente » du ciel est « abyssale », parce que Jésus « descend du ciel » : pour « s’anéantir Lui-même », pour « prendre la condition d’esclave », (Ph. 2, 7) pour « s’humilier » (Ph. 2, 8) en mourant sur une croix.
… est pour nous
Nous savons que la mort sur la croix était pour les Juifs une mort infamante. « Celui qui est pendu (sur un bois) est un objet de malédiction auprès de Dieu. » (Dt. 21, 23) Le plan du Père était de permettre que Son Fils soit « frappé pour le crime de Son peuple », (Is. 53, 8) « offre Sa vie en sacrifice expiatoire », (Is. 53, 10) « justifie les multitudes en s’accablant de leurs fautes ». (Is. 53, 12) S. Paul n’écrira pas autre chose : « Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, étant devenu malédiction pour nous, car il est écrit : “Maudit quiconque pend au gibet“, afin qu’aux païens passe dans le Christ Jésus la bénédiction d’Abraham et que, par la foi, nous recevions l’Esprit de la promesse. » (Gal. 3, 13-14)
… nécessite la foi
Jésus rentre dans le vif du sujet avec Nicodème : Oui, Il vient de la part de Dieu, Il est même « Son Fils unique », (Jn. 3, 16) venu du ciel pour donner la vie éternelle, en étant hissé sur la croix. Mais pour cela, il faut croire : « Ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l’homme, afin que quiconque croit ait par Lui la vie éternelle. » (Jn. 3, 15)
2. Le blanc-seing des disciples …
… absent
Nicodème vient voir Jésus de nuit. Il ne veut pas être vu. Ce n’est pas très glorieux pour celui qui reconnaît pourtant que Jésus vient « de la part de Dieu ». (Jn. 3, 2) Pierre renie Jésus trois fois, et deux fois à la remarque de femmes (Mt. 26, 69.71) qui le reconnaissent comme un disciple. Ce n’est pas très glorieux pour celui qui avait affirmé qu’il ne renierait pas le Maître. (Mc. 14, 29) Aucun des Douze, à l’exception de Jean, ne se trouve au pied de la croix. Ce n’est pas très glorieux pour ceux qui s’accordaient à dire qu’ils ne renieraient pas le Christ. (Mc. 14, 31)
En un mot, les disciples disent avoir la foi mais n’ont pas les actes de la foi : « A quoi sert-il, mes frères, que quelqu’un dise : “J’ai la foi“, s’il n’a pas les œuvres ? […] Moi, c’est par les œuvres que je te montrerai ma foi. » (Jc. 2, 14. 18)
… présent dès la Pentecôte
Les apôtres, le soir de la résurrection, étaient réunis, « les portes étant closes […] par peur des Juifs ». (Jn. 20, 19) Après la Pentecôte, les disciples montent au Temple, (Ac. 3, 1) y guérissent les malades, (Ac. 3, 4-8) répondent avec audace au Sanhédrin qui les questionne, (Ac. 4, 1-12) annoncent « de lieu en lieu […] la parole de la Bonne Nouvelle ». (Ac. 8, 4) Une conversion brutale de leur peur a pris place grâce à l’assurance que donne le Saint Esprit. Ils ne sont plus « dans la chair », nés d’en bas, mais nés d’en haut. L’annonce de Jésus à Nicodème s’est réalisée : « Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l’Esprit est esprit. » (Jn. 3, 6)
… rend libre
De même, Karl Leisner, ayant donné son blanc-seing à la Trinité Sainte et à la Vierge, est serein, frais et joyeux, même si physiquement il est éprouvé. Il écrit à son ami Tenhumberg, le 15 décembre 1939, alors qu’il est en camp de concentration à Sachsenhausen : « Est-ce que l’Enfant-Jésus va m’offrir la liberté ? Je n’en sais pas plus que toi. Donc, en toute tranquillité, nous voulons abandonner à notre Père du Ciel plein de bonté, à notre chère Mta (Marie Trois fois admirable) et à la Gestapo notre sort tel qu’il sera. Ça se passera bien. Ce n’est pas toujours très facile de devoir regarder le ciel à travers les barreaux, […] mais dans l’’ensemble, je suis frais et joyeux. J’apprends ici beaucoup de choses et je mets chaque minute à profit. Tu me connais et tu imagines comment je m’y prends. » (Mgr Hermann Gebert, Histoire d’une vocation, éd. Sainte Madeleine, 2010, p.127)
… une lettre du Saint Esprit
Nul doute qu’il s’y prend en s’abandonnant au Saint Esprit qui est en train d’écrire la lettre d’un martyr. La vraie vie chrétienne est, en effet, une lettre écrite par le Saint Esprit : « Vous êtes manifestement une lettre du Christ remise à nos soins, écrite non avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant », (2 Co. 3, 3) écrit S. Paul aux Corinthiens.
Prions : « O Saint Esprit, sois libre d’écrire sur notre cœur la lettre que Tu veux écrire. Amen. »
Oraison jaculatoire : « Je ne mourrai pas, mais je vivrai et raconterai l’œuvre du Seigneur. » (Ps. 117, 17)
Question : Comment le Seigneur a-t-Il écrit Sa lettre en vous cette semaine ?
Suggestion : Donner blanc-seing à la Vierge pour qu’elle écrive vos vies.
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.