La signification du dimanche pour les chrétiens

Source image: Clip: "Miséricordieux comme le Père" de Richard Vidal in Webtélé ECDQ

L’enjeu

C’était en l’an 304, au temps de la persécution de Dioclétien. Des fonctionnaires romains surprirent un groupe d’environ cinquante chrétiens qui célébraient l’eucharistie dominicale et ils les arrêtèrent. Le protocole de l’interrogatoire est parvenu jusqu’à nous.

               « Quand le proconsul lui dit : “C’est toi qui, à l’encontre du décret des empereurs et césars, as organisé la réunion de ces gens”, Saturnius répondit, sous l’inspiration de l’Esprit du Seigneur : “nous avons célébré le repas du Seigneur sans nous en soucier.” »

Le Seigneur, en latin, est exprimé par le mot latin dominicus, qui peut aussi vouloir dire : « ce qui est du Seigneur », ou « ce qui lui appartient. Ce mot est employé à la fois pour désigner le jour de la semaine et le sacrement qu’on y célèbre : sa résurrection et sa présence dans l’eucharistie.

Le proconsul insiste : « Pourquoi ? » Et le prêtre a cette réponse d’une grandiose sérénité : « Parce qu’il est impossible que le repas du Seigneur n’ait pas lieu. » (…) Les réponses d’Emeritus, la propriétaire de la maison dans laquelle s’était célébrée l’eucharistie dominicale, sont presque plus impressionnantes encore. Quand on lui (sic) demande pourquoi il a autorisé dans sa maison cette réunion interdite, il répond d’abord que ceux qui se sont ainsi réunis sont ses frères, à qui il ne pouvait pas interdire l’entrée chez lui. Le proconsul insiste, là encore. Et la deuxième réponse exprime ce qui l’a vraiment porté et poussé à agir de la sorte. « Tu avais l’obligation de le leur interdire », avait dit le proconsul. « Je ne le pouvais pas, répond Emeritus, quoniam sine dominico non possumus » (parce que nous ne pouvons pas [rester] sans le jour du Seigneur, sans le mystère du Seigneur).

Célébrer en Église ne relève pas d’une obéissance extérieure pénible, mais plutôt à celle d’une joie issue d’une nécessité de proclamer Jésus Christ, Seigneur de nos vies et de tout l’univers. Face à la lassitude qui s’est installée chez les chrétiens qui ont cessé de risquer leurs vies en célébrant l’eucharistie, le futur pape pose la question : l’Église serait-elle une association humaine ou « la première idée de Dieu, au point que le destin du monde dépend de sa réalisation? »[1]

La théologie du Jour du Seigneur

            Le dimanche est le premier jour de la semaine pour les juifs comme pour les chrétiens. La fixation de ce jour est-elle arbitraire ou relève-t-elle de raisons plus profondes? Pourquoi ne pourrions-nous pas fêter le jour du Seigneur le vendredi, dans des pays à majorité musulmane, si le choix du jour n’est pas si important?

En creusant la Bible, nous pouvons constater que le troisième jour est « à chaque fois le jour de la théophanie, c’est-à-dire le jour où Dieu se montre et s’exprime »[2]. Le sabbat appelle, en premier lieu, à « la vénération et à la reconnaissance à l’égard du Dieu créateur et de sa création[3] » Le culte se rapporte donc nécessairement à la Création, dont Dieu dispose à sa guise. Célébrer la création en observant le sabbat, c’est démontrer notre respect envers le Créateur à qui revient tout titre de propriété sur terre et au-delà.

Le sabbat est également le jour où l’homme se rappelle la liberté de Dieu, et qu’il participe à cette liberté de par son alliance avec le Créateur.  L’homme, ainsi que les bêtes que Dieu a mises à son service, se soustrait alors aux exigences du travail. « Le jour du sabbat, il n’y a plus ni maîtres ni serviteurs. »[4] Le sabbat revêt également une dimension eschatologique. « Il est anticipation de l’heure messianique[5]», pas seulement en théorie, mais il l’est concrètement, car il nous permet de nous habituer à la façon d’aimer de Dieu, « comme Lui-même s’est habitué à nous dans sa vie d’homme[6] ».

Les dimensions cultuelle, sociale et eschatologique s’interpénètrent donc. Le culte qui plonge ses racines dans la foi biblique n’est pas imitation en réduction du cours du monde – forme fondamentale de tous les cultes de la nature -, il est imitation de Dieu même, et donc exercice préparatoire au monde à venir. […] Mais le culte signifie ici libération de l’homme par anticipation à la liberté de Dieu, et donc libération de la création elle-même par entrée dans la liberté des enfants de Dieu. [7]

Le dimanche et le sabbat

Dès l’époque apostolique, le Jour du Seigneur était vécu de manière diamétralement différente que le sabbat observé par les juifs. Le dimanche était dorénavant le jour où le Seigneur se montrait aux siens et où la communauté fractionnait le pain. C’était la rencontre avec le Christ, j’oserais dire à mi-chemin, car la communauté allait vers Lui et Il se rendait présent à eux dans l’eucharistie. Des écrits aussi précoces que ceux du IIe siècle l’attestent : le dimanche était le jour du culte des chrétiens. Les chrétiens observent toujours un jour pour rendre gloire à Dieu, comme du temps de la Loi, mais ce jour s’est métamorphosé par le passage de la croix et de la résurrection. La résurrection fait en sorte que le premier jour de la Création rejoigne celui du Rétablissement, comme en fait foi le grand hymne au Christ de la lettre aux Colossiens, qui le désigne à la fois comme le Premier-Né de toute créature (1, 15) et le Premier-Né d’entre les morts (1, 18) par qui Dieu nous réconcilie tous.

Il n’est pas possible de dire avec certitude comment les chrétiens des trois premiers siècles ont célébré le sabbat, puisqu’il s’agissait d’une pratique interdite. Mais en revanche, nous savons que lorsque Constantin rendit le christianisme légal, différentes sources attestent que les chrétiens célébraient les deux jours, soit celui du sabbat qui correspondait au jour de la Création, et celui du dimanche, le jour de la résurrection. Toutefois, ils auront tôt fait d’accorder prééminence au second. Or, s’il fallait dorénavant lire le décalogue à la lumière du Christ, sons sens véritable était éclairé par la lumière de la Passion et de la Résurrection du Christ. Le dimanche devient donc la synthèse chrétienne de toutes ces réalités à la fois

Le dimanche en temps de crise

Ratzinger nous guide d’une manière fort utile pour l’Église en crise au Québec. Supposons qu’à cause du manque de prêtres, une communauté chrétienne n’ait plus de prêtres pour célébrer le jour du Seigneur, mais que la communauté voisine, elle, ait un prêtre pour célébrer l’eucharistie. Vaudrait-il mieux que la communauté sans prêtre se réunisse entre elle afin de maintenir vivante la communauté, ou serait-il préférable qu’elle se joigne à la communauté voisine qui, elle, peut célébrer l’eucharistie dominicale? Pour répondre à cette question qui se veut d’actualité, Ratzinger nous donne deux principes  pour nous orienter :

  1. Le sacrement a priorité sur la psychologie. L’Église a priorité sur le groupe.
  2. Cette hiérarchie étant supposée respectée, les Églises locales doivent à chaque fois chercher la réponse adéquate à telle ou telle situation en sachant que leur véritable mission est le salut des hommes. C’est dans cette orientation de tout leur travail qu’elles trouveront tout à la fois dessinés leurs liens et leur liberté.[8]

Ces indications sont une mise en garde contre les dangers qui guettent l’Église occidentale de demain, sujette à des idéologies communautaires qui feraient obstacle à la cause plus qu’elles ne la serviraient. Le don du sacrement doit toujours passer devant le souci de « l’être ensemble » de la communauté. Sinon, la communauté en viendrait à se célébrer elle-même, évacuant l’objectivité du sacrement, et elle ne serait plus porteuse de cette « nécessité » inconditionnelle dont l’Église a toujours parlé.  Elle sombrerait dans l’autocélébration, dans le culte d’elle-même, réduisant la liturgie à une autoreprésentation de la société. En effet, la liberté deviendrait sans saveur réelle s’il n’était question, le Jour du Seigneur, que de mettre en œuvre nos propres projets de façonnement de la société. Au contraire, l’Église se porte à la rencontre du Seigneur qu’elle reçoit dans l’eucharistie. « Elle se porte à sa rencontre, également, dans les situations où la communauté sans prêtre aspire à recevoir son don.[9] »

Culture du week-end et dimanche chrétien

De nos jours, ce congé autrefois obligatoire qu’était le dimanche est devenu une tradition bien commode pour les familles à l’horaire chargé. Les chrétiens conscients de l’importance de célébrer le dimanche en communauté seraient-ils donc condamnés à ne jamais pouvoir « partir en week-end »? « Comment réconcilier cette culture du week-end et le dimanche, comment rapporter à nouveau la liberté à la liberté plus grande dans laquelle veut nous faire entrer le Jour du Seigneur?[10] » Ratzinger est d’avis que ce que les gens fuient, d’abord et avant tout, c’est ce vide intérieur qu’il appelle la « nostalgie du tout autre » face à tout ce bruit qui occupe notre quotidien et dont nous ressentons l’appel à nous en isoler. Le Jour du Seigneur répond justement à cette aspiration de tranquillité. « Rentrer chez Dieu comme on rentre chez soi », chantait Robert Lebel. Pour que son existence soit bonne, l’humain a besoin d’une théophanie, d’une manifestation gratuite de la présence de Dieu et de sa puissance apaisante.

Autrement dit, il nous faut trouver le juste milieu entre un ritualisme où le seul acteur d’une liturgie incompréhensible et sans rapport avec les préoccupations des croyants est le prêtre, et une manie de l’intelligibilité qui dissout finalement toute l’action, en en faisant une œuvre purement humaine, en la privant de sa dimension catholique et de l’objectivité du mystère. (…) À titre « d’Opus Dei », la liturgie doit être le lieu où aboutissent toutes les « opera hominum » et où elles sont dépassées, ouvrant ainsi sur une nouvelle liberté que nous chercherions en vain dans les libertinismes de nos industries des loisirs.[11]

[1] RATZINGER, Cardinal Joseph, Un chant nouveau pour le Seigneur, Desclée, 1995, p. 90

[2] Ibid., p. 91

[3] Ibid., p. 99

[4] Ibid., p. 100

[5] Ibid., p. 100

[6] Ibid., p. 100

[7] Ibid., p. 101

[8] Ibid., p. 104-105

[9] Ibid., p.107

[10] Ibid., p. 108

[11] Ibid., p. 109

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A propos Mathieu Binette 41 Articles
Mathieu Binette est entrepreneur pastoral et étudiant en théologie à l'Institut de Formation Théologique de Montréal. Il est aussi coordinateur-général de Méditation Chrétienne du Québec et des Régions Francophones du Canada.

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